La Salamandre est un petit dragon de feu. Alors quoi de plus naturel (ou surnaturel) qu’elle donne naissance à un vrai grand dragon de feu ? Après tout nous sommes tous appelés à enfanter plus grand que nous…
C’est au beau milieu de la nuit, après plusieurs heures de labeur, dans la chaleur de la soudure, les étincelles et les odeurs de métal brûlé que j’ai vu apparaître pour la première fois le Dragon : deux solides pattes arrières, une longue queue courbée et une interminable colonne vertébrale à double cambrure projetant la tête du monstre bien loin de moi. Alors peut être sur la photo ne le verrez-vous pas. Ces animaux sont farouches et craignent la lumière du jour. Mais moi, je l’ai bien vu ce formidable animal tout juste sorti de la brûlante flamme créatrice.
Mais qu’est-ce donc que ce Dragon et d’où sort il ? En fait il n’est autre que la matérialisation d’une forme-pensée à la fois terriblement complexe et toute simple surgie de la rencontre entre deux cerveaux bouillonnants. Cédric, ingénieur énergies renouvelables, engagé sur le Sun Trip, une course de vélos solaires entre Chambéry et Astana au Kazakhstan dont le départ serait donné le 15 juin 2013.
Cédric cherche à faire évoluer son vélo couché pour l’occasion. Il fait un saut sur le blog et découvre, outre mes folles machines à cintrer, les pneus fats pour lesquels il voit immédiatement un intérêt vu l’état des pistes kazakhes. Une première rencontre, quelques échanges. Rapidement l’idée de faire évoluer le vélo existant est abandonnée. Cédric partira sur un vélo pensé de A à Z. Pour simplifier encore le projet, Cédric est handicapé. Son bras gauche s’arrête au milieu de l’avant-bras. Il faudra en tenir compte pour le poste de pilotage ainsi que pour les manœuvres de réparation.
En quelques mots, ce vélo a été construit autour des pneus fat, pour Cédric l’évidence même pour affronter les pistes kazakhes. La géométrie générale Long Wheel Base s’est imposée pour éviter un engin trop haut sur roues et simplifier l’installation des panneaux solaires. MPF drive a suivi Cédric dans l’aventure en fournissant le moteur pédalier et les batteries permettant de stocker l’énergie solaire pour l’alimenter. Rohloff nous a également suivis en fournissant le moyeu utilisé ici comme boîte de vitesse centrale et relais de transmission sous le fauteuil. Pour permettre à Cédric d’utiliser deux freins avec une seule main, le freinage a été confié à un Magura Big Twin. Ce frein conçu initialement pour les véhicules à 3 ou 4 roues permet une commande unique de deux étriers et il existe un étrier inversé que nous avons pu monter du côté droit du vélo. Pour compléter ce tableau technique hors normes, le moyeu arrière a été réalisé sur mesure par Olivier Chambon avec deux fixations disque pour recevoir un disque à droite et un pignon de 22 dents à gauche.
Le 21 août 2013, Cédric a franchi la ligne d’arrivée du Sun Trip à Astana. Quand j’ai reçu son SMS simplement frappé de 6 lettres : « Astana », ce sont mes larmes d’émotion qui lui ont répondu à la seconde. J’avoue que je n’en menais vraiment pas large. Ce vélo vraiment hors normes dans lequel j’avais mis une partie de moi était un pur pari. Rien n’était certain, tout était à découvrir. Aurais-je été capable d’accepter un bris de cadre ? Le risque n’était pourtant pas nul sur un tel engin.
Cédric n’a pas été épargné. Quand il a quitté Aubenas, son vélo n’était, pour ainsi dire, pas fini. La mise au point, il ne l’a pas faite avant, ni même pendant les premiers kilomètres, mais bien jusqu’en Ukraine, voire jusqu’à Astana. Mais il a ce grain de folie qui lui a dit d’y aller quand même, ce même grain de folie qui lui a dit de continuer quand tout semblait perdu, fourche et roue arrière cassées en Ukraine, un dimanche avec l’échéance du visa russe qui arrivait à la vitesse grand V. Cédric a enduré les casses, les crevaisons (essayez de réparer une crevaison sur un vélo normal, léger, d’une seule main et vous comprendrez), les dysfonctionnements électriques, les camions russes, les moustiques et bien d’autres aléas.
Cédric voulait une équipe autour de lui. Il l’a écrit en s’inscrivant sous le nom d' »équipe Kizuma ». Mais il n’a pas su nous le demander. Mais en définitive, c’est bien une équipe qui a gagné. Une grande équipe humaine disséminée sur 7500 km. La plus belle image que je garderai de ce Sun Trip vécu par procuration est celle de cet ukrainien dont je ne connais pas le nom, en train de fixer une barre de protection sur les inserts que j’avais initialement positionnés pour un sabot que nous n’avons pas eu le temps de préparer. Un vrai travail d’équipe…
Merci Cédric !